Je n’avais pas réalisé que la paresse pouvait être une véritable souffrance. Cette brève séance me donne un éclairage sur l’un de mes enfants que je ne comprends pas.
Ces propos d’une participante découvrant l’ennéagramme donnent du sens à ces rencontres autour d’un café ! Aider à comprendre autrui plus qu’à le juger. Ce à quoi nous invitait déjà Baruch de Spinoza : « Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester mais comprendre».
Une paresse que l’ennéagramme ne limite pas à l’absence d’action ! Voyez, dans le film d’Yves Robert, le personnage d’Alexandre : il est sans arrêt sur la brèche. Transporter des sacs de blé très lourds sur son dos ou des grumes de bois avec sa remorque, planter des piquets pour délimiter une propriété, aider un voisin à porter une armoire, etc. Beaucoup d’activités qui pourtant n’excluent pas la paresse car, sans cesse, l’attention d’Alexandre le Bienheureux (c’est le titre du film) se détourne de son objectif. Chargé d’un transport de bois, il s’arrête et rêve devant des poissons. Bien que rappelé à l’ordre régulièrement par sa femme, il s’arrête à nouveau pour regarder une partie de billard puis encourager un enfant qui joue au ballon ou dialoguer avec un pic vert ou encore se promener en forêt et se mettre à contempler les fleurs…
La paresse consiste à perdre de vue son objectif ou à être dans ses rêves au lieu d’agir. « Réveille-toi Alexandre (Philippe Noiret) … ne rêvasse pas mon chéri ! » lui dit son épouse (Françoise Brion). Elle est aussi l’habitude de reporter au lendemain ce qui est à faire dans l’instant : « On verra ça demain » quand il est question de transporter une armoire » ou lorsqu’il s’agit de récupérer un chiot que l’un de ses amis lui a offert. Une procrastination qui énerve son ami : « Demain, demain, c’est comme pour l’armoire ! »
Un second extrait, tiré du film N’oublie jamais, permet de compléter ce que l’ennéagramme entend par « paresse » : Durant leur jeunesse, Duke et Allie se sont aimés passionnément. Elle le quitte pour aller faire ses études à New York. Il lui écrit chaque jour pendant un an. La mère d’Allie intercepte les lettres. Allie, de son côté, va l’attendre 7 ans. Puis rencontre Lon. Tous deux se fiancent et vont se marier. Peu de temps avant le mariage Allie revient voir la maison où ils se sont aimés et que Duke avait promis de construire. Ils s’aiment à nouveau pendant deux jours. Puis vient le moment du choix : « Que vas-tu faire ? » demande Duke.
Allie qui sait que la décision à prendre va engager sa vie répond qu’elle ne sait pas. Une réponse qui provoque aussitôt la colère de Duke : « ça recommence ? Que fais-tu de ces deux jours passés ensemble ? » Comme Allie lui dit qu’elle a donné sa parole, Duke poursuit : « Tu ne penses pas à ce que ton cœur te dit… Je te perdrai une deuxième fois, si c’est vraiment ce que tu veux… arrête de penser à ce que les autres veulent ! Que fais-tu pour être libre ? » À ce moment de l’échange, Duke lui pose la question : « qu’est-ce que tu veux ? » Et il la lui pose quatre fois ! Allie, à son tour très en colère, monte dans sa voiture et quitte Duke.
Cet échange très fort souligne une autre manifestation de la paresse : l’indécision, la tergiversation lorsqu’un choix est à faire. Vais-je préférer m’enfermer dans une routine, une sécurité ou vais-je écouter mon désir ? Saurai-je écouter mon cœur ?
Après ces deux extraits, un temps est ensuite donné aux participants pour échanger en petits groupes sur une série de questions : Vous arrive-t-il d’être très actif mais de limiter votre action à des tâches secondaires ? De faire mille et une choses tout en perdant de vue votre priorité ? De différer ce qui doit être fait dans l’instant ? De penser que vous avez le temps d’agir, que rien ne presse ? De retarder le moment d’agir pour ne pas sacrifier le confort de l’instant ? De vouloir ce que l’autre veut, sans vous interroger sur ce que vous voulez, vous ? D’avoir un projet qui vous tient à cœur mais que vous ne réalisez pas car vous tergiversez, êtes indécis (rêver les choses au lieu de les réaliser) ? De rester dans une sécurité au lieu d’écouter et réaliser votre désir ? De ne pas faire l’effort de vous interroger sur ce que vous voulez réellement ?
« La paresse est comme un filet qui vous coince par terre » dira une participante en groupe plénier. Il y a la paresse à faire, mais aussi la paresse à dire. Toutes deux sont source de souffrance car « la paresse pousse au jugement de soi… on se trouve nul à ne pas faire » dit un autre participant. Souffrance encore quand on n’intervient pas, « pensant que son propos n’est pas suffisamment intéressant » dit un troisième.
« N’y aurait-il pas à côté de toutes ces formes de paresse, une paresse à être ? » Cette question renvoie à un vieux mot de la langue française : l’acédie qui, en Grec ancien, signifie « négliger, ne pas prendre soin de… » Vivre cette acédie, c’est ne pas voir où l’on va ou bien ne pas savoir où l’on va. Et si l’on ne voit pas le but, il est plus difficile de contacter ses ressources, d’avoir l’énergie nécessaire pour agir. Certaines personnes parlent d’une sensation diffuse, d’une sensation de déprime. À l’issue du Café ennéagramme, j’ai entendu un témoignage émouvant : « J’ai vécu cela ! Après la disparition de mon conjoint, après l’incendie de ma maison, durant un instant, j’ai voulu périr dans l’incendie ! »
Que propose l’ennéagramme pour quitter cette paresse qui nous habite tous, à des degrés différents ? Pensons à la personne qui dispose d’un talent certain pour réussir mais qui, par peur de l’échec, ne se lancera pas dans un projet ou à celle qui, capable de se donner beaucoup aux autres, se fond dans le désir d’autrui et en oublie ce qu’elle veut pour elle-même…
Réponse est donnée dans L’homme qui tua Liberty Valence, le film de John Ford (1962). Ransom (John Stewart) a été roué de coups par Liberty Valence, un voleur de diligences (Lee Marvin). Il reçoit, allongé sur un lit, quelques soins et, bien qu’étant toujours très faible, veut se lever pour arrêter le bandit. « Étendez-vous » lui dit la dame qui l’a soigné. Le visage résolu, Ransom s’écrie : « Non, pas maintenant… Non, il faut que j’agisse ! … il faut que j’agisse ! » En tant qu’avocat, il n’a nullement l’intention de se servir d’une arme (comme le lui propose Tom Donovan, un cow-boy justicier joué par John Wayne) : « Je suis avocat et la loi est le seul moyen ! Je veux le faire mettre en prison ! »
À la place de la paresse, développer la joie pour l’action juste, essentielle, prioritaire.
C’est ce que fait Ransom : en lien avec sa mission qui est de faire appliquer la loi (avocat signifie « appelé à… ») autrement dit, parce qu’il écoute sa voix intérieure, écoutant ce qu’il porte au plus profond de lui, il agit maintenant ! Sans délai ! Le mot de la fin sera donné par une participante : «N’y a-t-il une vraie joie d’avoir réalisé ce que l’on a réalisé ? N’y a-t-il pas comme une délivrance ? » Oui, une joie durant la réalisation et la joie d’avoir réalisé !
Pierre Angotti, Compiègne le 22 septembre 2018