« Nous a-t-on déjà présenté un homme aussi prétentieux et désagréable ! Qui est-il pour se croire en ce point supérieur ? » Offusquée de voir Darcy refuser de danser avec sa fille Lizzie, Madame Bennet identifie très vite l’attitude hautaine de cet homme, jeune, célibataire et riche, venu accompagner à contrecœur son ami Charles Bingley à un bal donné à proximité de la propriété de ce dernier. Lizzie, elle-même, ne s’y trompe pas : « Apparemment ils sont plus satisfaits de ce qu’ils sont que de ce qu’ils ont ». Jouir de sa propre estime est une des définitions possibles de l’orgueil. Il convient, comme le propose le philosophe Jean Guitton, de le distinguer de la vanité : si l’orgueil est une estime excessive de soi-même, la vanité, elle, est la recherche de l’estime des autres.
Dans le film Orgueil et Préjugés, tiré du roman de Jane Austen, le réalisateur met l’accent sur les conséquences de l’orgueil. Des propos méprisants, accompagnés d’un visage fermé et d’un regard distant : « Danser devant une assemblée comme celle-ci serait insupportable … Rien ne me déplait autant que ces danses locales ! … Je ne suis pas d’humeur à m’intéresser à des jeunes filles auxquelles les autres n’accordent pas d’importance».
Au mépris de Darcy s’ajoute le jugement d’autrui (« J’ai vu des gens sans éducation… La danse est l’un des plaisirs les moins civilisés. Tous les sauvages dansent ! ») Mépris, jugement mais aussi mensonge. Sans parler du mensonge à soi-même, car si Darcy juge « passable » la beauté de Lizzie, considérant qu’elle n’est pas assez jolie pour le tenter, il n’y est pas aussi insensible qu’il le prétend …
L’orgueil ne se présente pas toujours sous une forme aussi caricaturale que celle dont fait preuve Darcy. Dans L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, Robert Redford présente une forme plus discrète d’orgueil : l’orgueil de se croire indispensable ou d’éprouver le sentiment de l’être. C’est le cas lorsqu’à l’hôpital, Annie Maclean, dont la fille Grace vient d’être amputée d’une partie de sa jambe à la suite d’un grave accident de cheval, interroge son mari Robert : « Tu crois que l’on peut compter sur eux ? » ou murmure : « Il faut être perpétuellement sur leur dos ». Ne compter que sur soi, n’avoir confiance qu’en soi, prétendre savoir mieux que le personnel médical ce qui est à faire… Croire que si l’on ne prend pas les choses en main, les choses ne se feront pas.
Robert Redford, réalisateur du film, enfonce le clou quand, à la maison, Annie annonce à son mari, sans l’avoir consulté, qu’elle ira avec sa fille et le cheval rencontrer, dans le Montana, le dresseur de chevaux. Alors que le mari s’insurge d’une telle décision, Annie répond : « Je ne te demande rien. C’est moi qui vais le faire ». Ne pas demander : là est l’orgueil ! Donner de soi sans demander, cultiver l’indépendance, installer l’autre dans la dépendance. Ce faisant, la personne adopte une position haute par rapport à l’autre. Ne dit-on pas que la main qui donne est plus haute que celle qui reçoit ? « Je sais donner mais ne sais pas recevoir » témoignait une personne, un jour, dans un groupe. Là encore, cette personne ignore sans doute qu’elle vit un sentiment d’autosuffisance, qu’elle n’accepte pas d’entrer dans une interdépendance. Une interdépendance très bien soulignée par un poète, premier prix Nobel de littérature en 1901, tombé aujourd’hui dans l’anonymat, Sully Prudhomme : « Nul ne peut prétendre se passer des hommes ! »
À partir de quelques questions proposées aux participants (Comment se manifeste en vous le sentiment d’orgueil ? Éprouvez-vous une difficulté à recevoir ? À demander ? Vous arrive-t-il d’avoir le sentiment d’être indispensable aux autres ? Avez-vous du mal à recevoir la critique ? Pouvez-vous être tenté de juger autrui à l’aune des talents qui sont les vôtres ? En quoi l’orgueil est-il une souffrance ?), voici quelques propos notés à la volée :
- « J’ai découvert certains aspects de l’orgueil auxquels je ne pensais pas ou que je ne connaissais pas : ne pas savoir recevoir ou rendre service à l’excès sans demander de retour. C’est difficile à entendre… »
- « L’orgueil cache une peur : peur de l’oubli ? de l’humiliation ? de l’abandon ? »
- « N’y a-t-il pas une forme de déni de l’autre quand le service rendu est envahissant ? Quand le service rendu manque d’écoute, cet autre ne se sent pas pris en compte, son avis ne compte pas… »
- « Dans mon enfance, j’entendais ma mère dire : « Tu as un orgueil mal placé ! » Ne le comprenant pas, je me mettais en colère. Cette séance m’aura permis de concrétiser ce qu’est l’orgueil !»
- « Je me suis découverte orgueilleuse… Je me croyais dans l’ombre, mais l’orgueil se glisse dans les petites choses comme celle de ne pas se faire aider…»
Après ces échanges en petits groupes, un extrait du film Le Festin de Babette est projeté pour illustrer le visage de l’humilité. Un chemin auquel nous sommes tous invités, quelle que soit notre personnalité ! Dans cet extrait, Babette, sans argent, sert pour survivre deux sœurs depuis quatorze ans sans leur avoir jamais rien demandé. Pour la première fois, ayant gagné une importante somme d’argent, elle souhaite servir un repas français pour le centième anniversaire du père des deux sœurs. Là est l’humilité de Babette : servir, donner de soi, mais savoir aussi demander ! Quant aux deux sœurs qui, toute leur vie, ont nourri les pauvres et leur ont consacré l’essentiel de leur temps, elles aussi montrent le visage de l’humilité : Donner mais aussi recevoir !
Dernier extrait de film : celui tiré du film Le Concert. Mélanie Laurent, dans le rôle de la soliste jouant le 1er concerto pour violon de Tchaïkovski, s’impatiente du retard de l’orchestre. Pour la faire patienter, un tsigane se met à jouer. Son jeu ne provoque que dédain hautin de la virtuose jusqu’au moment où, changeant de registre, il se met à jouer des arpèges et des harmoniques qu’elle-même ne sait jouer. À ce moment, tout bascule. Le dédain s’est mué en admiration, la conduisant à demander pardon. Le changement de regard, en quelques secondes, est saisissant ! Mélanie Laurent découvre que les autres ont des biens qu’elle ne possède pas …
Au final, évoquer le thème de l’orgueil, c’est être invité à convertir son regard :
- sur soi-même : j’ai un regard plus juste, plus réaliste sur moi-même : j’ai des biens que les autres n’ont pas, ils ont des biens que je n’ai pas. J’ai des fragilités que les autres n’ont pas. Ils ont des fragilités que je n’ai pas. « L’humilité, c’est avant tout être vrai » écrit Alexandre Jollien.
- sur l’autre : Je peux apprendre de l’autre, je peux m’autoriser à demander de l’aide à autrui, je peux recevoir de l’autre. Ce que résume Alexandre Jollien : « L’humilité, c’est être juste à sa place ».
Cette humilité permet :
- d’être dans un rapport d’interdépendance (prendre conscience de sa juste place au milieu des hommes : ni dépendant, ni indépendant mais interdépendant)
- d’être dans une relation d’égal à égal,
- d’être dans des échanges en vérité
- de ne pas vouloir pour l’autre (lui apprendre à pêcher et non lui donner le poisson)
- de ne pas s’épuiser (je donne aux autres mais je sais aussi me donner du temps)
- d’éviter la condescendance liée à un talent que les autres ont mais dans une moindre mesure
- d’accueillir plus facilement les fragilités d’autrui, car je connais les miennes